Life of Chuck est un film à la marge, et c’est aussi ce qui explique l’enthousiasme qu’il suscite. À la marge de la filmographie d’un réalisateur qui a habitué son public au genre horrifique, et à la marge de la production hollywoodienne, enlisée dans l’essorage nauséabond de franchises dévitalisées.
Cette adaptation d’une nouvelle de Stephen King a effectivement le mérite de plonger, au sens propre comme au figuré, dans un nouvel univers, qui sait, dès son premier segment, jouer avec intelligence des attendus du public (ici, sur la fin du monde), pour le conduire vers des développements autrement plus originaux et touchants.
Il est difficile de parler du film sans en déflorer la structure et les secrets intimes. Et même si l’on devine assez rapidement, au cours du premier tiers, la direction prise par l’écriture, on comprend assez vite que les ressorts énigmatiques de l’écriture ne sont qu’un ajout sur des lignes mélodiques bien plus profondes : celles de l’attente et de l’adieu.
Tout le talent, la malice, - et, peut-être, la légère limite- de Life of Chuck résident donc dans cet apparent paradoxe entre la modestie du propos et son traitement. Cette fameuse promesse de la « vie extraordinaire d’un homme ordinaire », où narration et style, par l’entremise de l’hyperbole, du récit non linéaire et des métaphores, subliment une destinée pour en faire une parabole universelle.
La chronologie inversée est ici particulièrement légitime en ce qu’elle annonce presque d’emblée un terme qui nourrira le propos même du film, à savoir l’attente de cette issue, et le sort de tout être humain confronté à la finitude de toutes choses. Dans cette prise de conscience qui pourrait annihiler toute valeur à l’existence, c’est le jeu des proportions qui pourrait s’avérer salvateur : faire d’un instant de bonheur une épiphanie qui donnerait du sens. Mike Flanagan s’empare de ce principe pour déployer des motifs, les disséminer d’un segment à l’autre, à la manière d’un puzzle narratif et mental, une constellation où le plus minuscule des points lumineux peut s’élargir en un instant suspendu, sans autre sens que son propre instant, inscrit avec grâce dans le présent. Tout ce principe tient dans le deuxième acte, centré autour d’un moment parfait, où le rythme d’une percussion va colorer la marche d’un ant, s’abandonnant progressivement à une danse fédératrice. Un principe déjà largement exploité par la comédie musicale, mais qui gagne ici en ampleur par son caractère unique, et par le cadre très littéraire assuré par un narrateur en voix off, soucieux de maintenir ce surplomb mélancolique auquel le premier acte nous a déjà initiés.
Le parcours se poursuit néanmoins, le temps remonte à l’enfance, et la grâce des mouvements cède le pas à davantage de démonstration. À la manière d’une thérapie allant chercher les sources des maux, le récit verbalise les causes, explicite les éléments du premier acte, crée des erelles avec le premier acte, au risque d’un enlisement un peu regrettable. L’ajout d’une nouvelle énigme (cette coupole cadenassée de l’extérieur), sans doute jugée nécessaire pour maintenir un élément fantastique dans une vie peut être jugée trop « ordinaire », alourdit encore la démonstration, qui dérive par instant vers le manuel de développement personnel. La vitalité du dernier segment n’en est pourtant pas totalement entachée : en revenant à l’origine du sens, Flanagan poursuit son exploration du geste pur de la danse, avec une tendresse, en termes de mise en scène et de photographie, teintée de nostalgie pour un certain cinéma américain des années 80 qu’avait déjà exploré J.J. Abrams dans Super 8.
Puisqu’on choisit ses souvenirs lorsque le temps e, autant faire de même avec ce récit d’une vie : laissons les paroles et les petites malices superfétatoires s’étioler, tandis que resteront sur nos rétine l’éclat de ces moments parfaits où les étoiles dansaient.
(7.5/10)