Adapté du roman choc « Le dîner » de Herman Koch, inspiré d’un fait divers survenu en Espagne en 2005, l’histoire de "A Normal Family", non moins choc, est transposée en Corée. On pourrait croire que le film est contemporain et qu’il décrit les dérives de la société coréenne et sa violence extrême. En réalité, le livre a été publié en 2011, écrit par un néerlandais et il évoque une violence familiale devenue hélas, universelle : commune à toutes les époques, à toutes les civilisations, à tous les pays. Une violence immémoriale qui défie toutes les lois, intragénérationnelle, sous couvert de loyauté et d’apparences.
Dans le film, chaque personne joue un rôle très précis et bien sûr, les partitions évoluent, comme les postures et les états d’esprits. L’un des rôles majeurs, par exemple, est celui dévolu à la mère des deux fils et protagonistes clés. Alitée, elle perd la mémoire. D’elle, parfois, émane une violence explosive qui peut sembler banale en état de sénilité, mais qui en réalité, traduit une atmosphère familiale nauséabonde qui l’a marquée au fer rouge. Il lui suffit d’une réplique, les yeux dans le vague, le vague d’une vie qu’elle a refoulée mais qui revient toujours, jusqu’à la nausée, pour comprendre à quel genre d’époux elle était mariée et ce que leurs fils ont sans doute enduré. Un pouvoir patriarcal assez égal pour que tous deux se soient consacrés à une carrière prestigieuse, qui fait d’eux des personnes d’autorité, manipulateurs, l’un avocat et l’autre chirurgien. Pas assez égal pour qu’ils se comprennent et s’épaulent. La jalousie et les rivalités forment un barrage inextinguible entre eux. Qui déforment leur éthique, leur moralité, leur probité, leur sens de la responsabilité et de la famille. Leurs défaillances et leur esprit de compétition se sont à leur tour transmis à leurs enfants après eux.
Les épouses jouent également un rôle déterminant et démoniaque, face à leurs époux dominants. Dominants… ou faibles ?
« L’homme, c’est chez la femme que je l’ai trouvé » écrit Georges Simenon qui, en matière de violence domestique, s’y connaissait.
« La femme fait l’homme, puis le ronge » dit le proverbe corse.
D’emblée et avant même que la première image dégage le générique liminaire, on sent qu’on va être malmenés. Mais aucun interligne du pitch ne nous prépare à accueillir la toute première image de cette toute première scène ultra-violente. Mais plus que cette violence-là, urbaine et physique, c’est celle plus feutrée du cabinet de l’avocat, qui nous met mal à l’aise. Tellement mal à l’aise. Pourtant, on est encore bien loin de se douter de l’enchaînement irréversible des causes et des conséquences, toujours plus apocalyptiques, jusqu’à l’ultime seconde avant l’écran noir du générique de fin, qui n’est pas assez long pour nous permettre de réguler notre respiration et de digérer.
Ce film nous laisse une empreinte cauchemardesque. C’est un mix hyper-réussi, sans aucune complaisance, entre Festen de Thomas Vinterberg et Elephant de Gus Van Sant. Un film cousu de ce genre de violence qui subjugue autant qu’elle morgue, a fortiori impulsée dans un univers sophistiqué et grandiloquent. Mais la violence n'a pas d'âge et n’épargne personne, elle ne fait que démasquer les imposteurs errants au cœur de familles normales.