Il y a parfois des portes qu’il ne faut jamais ouvrir, surtout lorsqu’elles portent la signature de Stephen King. Cependant, il arrive que certaines fois, au lieu des monstres habituels, on y découvre une danse avec le temps.
L’écho d’une vie, ces rêves, tristes et beaux. Une planète au bord du silence, quand tout se joue ici et maintenant, comme un regard qui nous dirait que l’on ne reviendra plus.
Malgré sa structure complexe, mêlant harmonieusement les tons et les genres, avec des notes de piano en apesanteur, pour que s’envolent tous ces instants ordinaires, mais aussi sa part d’ombre. Mike Flanagan a su préserver l’étrangeté fascinante du récit, déroulant ainsi son film en trois actes à rebours, depuis la fin d’un monde jusqu’aux battements intimes d’une existence.
Dans l’acte 1, scène d’ouverture, les choses sont d’une beauté bouleversante, à la fois par cet ex-couple qui se retrouve, interprété avec justesse par Chiwetel Ejiofor et Karen Gillan, mais aussi à travers ce curieux groupe de gens, errant dans les rues à moitié vides, cherchant désespérément un signal venu d’un réseau qui aurait disparu, dans une Californie divisée.
Un spectacle troublant, mis en scène avec la lenteur d’un adieu venu du ciel. Une apocalypse presque paisible.
Une humanité qui aurait glissé vers sa phase d’acceptation, d’un deuil partagé, sans cris ni hurlements, mais juste cette vision hallucinante et comique d’un mystérieux spot publicitaire, qui leur annonce les 39 années exceptionnelles d’un comptable nommé Charles Krantz (Tom Hiddleston), dit Chuck, que tout le monde regarde, mais que personne ne connaît.
Alors, pendant que chacun observe ce foutu spot publicitaire, qui les poursuit partout — la joyeuse retraite de Chuck — le reste du monde, dans un long soupir collectif, s’abandonne doucement, à contempler la mémoire des étoiles, qui les efface un peu plus chaque jour, sans oublier de lui prendre la main, pour qu’à deux il ait un peu moins peur des lendemains obscurs.
Puis s’ouvre l’acte 2, avec une simple journée dans la vie de Chuck, interprété avec brio par Tom Hiddleston, lorsqu’il marche et écrit son histoire, vers quelque chose de trop grand pour être dit, trop fragile pour être remis à demain.
Une danse au coin d’une rue, au rythme d’une jeune joueuse de batterie, comme une leçon de vie cachée, légère et presque irréelle, à vivre pleinement, sans peur du regard des autres.
Chuck fait partie de ces hommes qui ont compris que le temps s’effile, qu’il n’attend pas, alors il danse, danse, sans plus attendre, face à un public qui ne comprend pas ce mec bizarre. Et cette fille au cœur brisé, qui s’avance sur ses pas, l’accompagne dans ce tempo, pour exister, oublier, illuminer cette journée d’un sourire, chez elle, et chez tous ces ants.
C’est l’instant magique.
Enfin, l’acte 3. La vie de Chuck se déplie, revenant peu à peu à la source, de l’enfance à l’adolescence.
Rôle tenu par Benjamin Pajak, Cody Flanagan et Jacob Tremblay, où l’on voit un enfant intelligent et curieux qui cherche sa place dans le monde, auprès de ses grands-parents, Albie (Mark Hamill) et Sarah (Mia Sara), orphelin très tôt.
Il grandit dans un cocon discret, entre tendresse et silence, le choix d’une danse, cet élan vers un ailleurs.
Malheureusement, la vie n’est pas toujours marrante, elle cherche à être rassurante.
L’art des chiffres l’éloigne de celui du corps, pour mieux le rapprocher de son grand-père, et le protéger de cette porte qu’il ne faudra jamais ouvrir, sous peine d’émotion trop intense.
Un film porté aussi par la narration sobre et profonde de Nick Offerman, qui tisse les cartes d’un récit plein de douceur mélancolique, où les choix és résonnent comme des refrains oubliés, et où chaque geste de sa grand-mère devient une réponse silencieuse au mystère de vivre — sans regret, mais juste comprendre ce qui fait de lui ce qu’il est.
Life of Chuck s’élève en un songe étrange, une fable métaphysique teintée d’absurde, où s’entrelacent la vie, la mort, et la fin du monde, au souffle d’une danse incertaine.
Une œuvre audacieuse, qui embrasse l’invisible avec une lumière empreinte de tristesse, celle de la danse d’une vie ordinaire.